L’entreprise NuLink est en train de développer un système de compression vidéo 4K combiné à de mini-réseaux 5G portables. Une révolution qui pourrait intéresser bien au-delà du petit écran.
Laurent Zwahlen, fondateur de NuLink, est un passionné d’électronique et de diffusion TV. Ce jeune soixantenaire s’est construit une solide réputation comme expert-consultant. Dans les années 2000, il a mis au point un système de transmission numérique, sans fil, pour les caméras de télévision. Le dispositif avait séduit le Tour de France qui avait fini par faire une offre de rachat pour s’assurer de disposer de la technologie. En 2007, il crée donc une nouvelle société pour vendre des conseils en matière de diffusion de grands événements. Depuis, le Neuchâtelois affiche un tableau de chasse impressionnant: responsable des caméras sans fil pour les JO du Brésil, pour la coupe du monde 2018 de football, pour les championnats du monde de cyclisme, etc.
Laurent Zwahlen n’en est plus à son coup d’essai en matière d’innovation. En collaboration avec l’EPFL, NuLink a participé au projet européen 4KREPROSYS, pour lequel ils ont conçu un compresseur vidéo 4K. Cette innovation a reçu en 2019 le prix de meilleur projet multimédia par Celtic Next, un conglomérat européen d’entreprises actives dans les technologies de l’information.
Un manque de fréquences disponibles
Depuis qu’il a fondé sa dernière société, Laurent Zwahlen se rend bien compte d’une réalité: “Dans le monde de l’événementiel, la demande de systèmes sans fil explose. L’UEFA, la FIFA, le CIO et d’autres grandes organisations, souhaiteraient pouvoir déployer des infrastructures sans fil, très rapidement, de façon à faire baisser les coûts. A titre d’exemple, un match de ligue des champions représente deux journées de câblage. Moins cher, plus rapide, plus écologique, les avantages d’une technologie sans fil sont nombreux.”
Le problème, c’est que les fréquences disponibles commencent à manquer. Ce phénomène est mondial. En Suisse, l’expert estime que ce sont environ 70% de nos fréquences qui ont été vendues par l’OFCOM aux opérateurs téléphoniques pour le déploiement de la 5G. La dernière mise aux enchères a atteint 380 millions de francs, à peine un transfert de Neymar. En comparaison, l’attribution en 2012 de la 4G avait frôlé le milliard de francs. Les opérateurs sont désormais en position de répondre ou non à la demande et d’imposer leurs solutions technologiques. Pas exactement la définition d’un libre marché…
Laurent Zwahlen regrette la manière dont les choses se sont faites: “En tant que consultant pour les JO 2024 de Paris, j’ai déjà pu réserver du spectre sur toute la durée de la manifestation. En Allemagne, BMW, Bosch ou Mercedes notamment, ont pu acheter des fréquences pour déployer de futurs réseaux privés 5G. En Suisse, l’OFCOM a confié cette responsabilité aux opérateurs, mais sans concertation avec les milieux industriels, ni en passant par des votations sur le choix d’infrastructure. C’est problématique car la 5G est un vrai saut technologique.”
Lancement du projet Innosuisse 5G Prolive
Face à la pénurie de fréquences prévues, NuLink a initié un nouveau projet Innosuisse avec différents partenaires: l’EPFL, la HEIG-VD, le département Swisscom Event & Media Solutions, l’OFCOM et la SSR via la RTS. Le projet a bénéficié d’un coaching de platinn et d’Alliance pour la soumission. Il a abouti à un financement d’un million de francs. L’objectif: proposer un système de retransmission sans fil des grands événements en utilisant les atouts de la 5G. Celle-ci permet en effet de mélanger du son, de la vidéo et des données, tout cela dans le même canal, alors qu’actuellement, il faut une fréquence par type de service. Comme le véritable débit 5G n’est pas réellement présent pour le moment, NuLink et ses partenaires conçoivent tout eux-mêmes. Ils travaillent sur la compression du signal, mais aussi sur le développement d’un modem et la programmation du réseau de cartes SIM déployé pour assurer la retransmission des données en direct.
Une application qui va au-delà de l’audiovisuel
Un premier test convainquant a eu lieu lors d’une compétition de snowboard aux JOJ Lausanne 2020. Dans un rayon d’environ 3 kilomètres, tout l’outillage de production sans fil a été acheminé par un réseau qui n’utilisait qu’une seule fréquence (un seul canal de 20 MHz de large).
L’option prise par NuLink consiste à poser juste ce qui est nécessaire, que ce soit pour une halle logistique, un match de foot ou un concert. Laurent Zwahlen explique un autre atout du système: “Nous couvrons le lieu de l’événement avec des puissances plus basses que ce que vous avez sur votre smartphone. L’antenne est à distance, tandis que lorsque vous téléphonez, votre appareil est souvent collé à l’oreille.”
Autre exemple d’application, la direction des urgences du CHUV s’est montrée intéressée par le projet. En effet, intégré aux véhicules d’urgences, un mini-réseau 5G pourrait être dédié à chaque intervention. Cela permettrait de transmettre des images et des informations précieuses quand des vies sont en jeu.
Mot de la fin: ne pas restreindre l’innovation trop vite
Si NuLink trouve les bons partenaires financiers, sa solution technique de broadcast lui permettra de devenir un prestataire incontournable du marché de la télévision, ou d’être rachetée par plus gros. Mais parce que la société neuchâteloise développe son propre système pour compresser et transmettre de grandes masses de données, cela pourrait aussi constituer une très bonne option dans le domaine de l’industrie 4.0.
Aujourd’hui, la vraie 5G n’est pas encore déployée, et sa réelle plus-value pour les utilisateurs de smartphones reste à démontrer. Regarder sa série préférée dans le train restera possible avec la 4G. Quant à l’internet des objets qu’on nous promet, il ouvre un immense marché du gadget aux consommateurs privés. Mais dans un monde qui doit être de plus en plus durable, il faudra peut-être faire des choix et laisser mûrir la bonne configuration technologique avant de l’imposer à tout le territoire.
Pour en savoir plus… www.nulink.tv
par Arnaud Gariépy
L’avis de l’entrepreneur
“Par rapport aux derniers projets Innosuisse que j’avais fait, les exigences avaient un peu changé. Désormais, avec raison, ils considèrent que la partie business est au moins aussi importante que la partie R&D. Donc, en déposant le projet, on doit faire la preuve qu’il y a un marché derrière. J’ai eu la chance d’avoir eu contact avec Monsieur Bochatay de la promotion économique de Neuchâtel, qui a tout de suite été très enthousiaste et nous a mis différents coachs à disposition. Thomas Meier de platinn m’a surtout aidé pour l’aspect modèle d’affaires, et Claude Müller d’Alliance pour la partie technique de la soumission Innosuisse. Quand notre projet a été sélectionné, nous avons renouvelé le coaching avec Thomas pour développer le marché.
Nous avons fait une splendide expérience avec ces deux coachs. L’enjeu désormais c’est de trouver le financement pour pouvoir développer et déployer la solution technique.”
L’apport de platinn
Thomas Meier coach Affaires et Coopération chez platinn raconte ainsi le parcours déjà accompli : “Avec Claude Müller d’Alliance et moi-même, la collaboration s’est très bien déroulée. Nous nous sommes coordonnés pour que Laurent ne doive pas répéter les mêmes choses. Le coaching sur la recherche et le développement technologique est du ressort de Claude, dans le cadre du projet Innosuisse. Tandis que je m’occupe avec Laurent de diversifier les produits proposés, de son modèle d’affaires, de trouver des partenariats et d’identifier les marchés potentiels.
Laurent est quelqu’un qui voit loin. Il est clair qu’il y a un gros potentiel derrière ce qu’il est en train de développer. La démonstration à Villars au JOJ 2020 a été une première étape importante. Ce projet NPR a été rendu possible grâce à la société vaudoise Advanced Sport Instruments (ASI) avec laquelle je menais également un mandat platinn et qui était déjà assurée de collaborer avec les JOJ. J’ai pu associer NuLink à ce projet. C’était une belle occasion de faire profiter les deux entreprises.
C’est grâce à ASI également, et à notre présence sur Vaud, que nous avons ensuite pu rencontrer les services d’urgences du CHUV. L’objectif est d’améliorer la communication et la vitesse de diagnostic lors de situations d’urgences médicales. Une rencontre est prévue également avec l’Inselspital à Berne. Nous allons discuter et évoquer plus en détails les applications possibles de la technologie NuLink dans l’hôpital 4.0.
Jusqu’ici Laurent vendait principalement son expertise, désormais il ambitionne de proposer des solutions hardware. L’objectif est de vendre soit en direct, soit sous-licence des équipements pour répondre à la demande. C’est vraiment une super collaboration et je me réjouis de la suite.”